Norton Sport-Club Genève

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Précurseurs

Godier - Genoud

Après la mésaventure du premier Bol d'Or et sa terrible déception, Georges Godier mobilise à nouveau sa légendaire volonté et sa combativité. Il n'accepte pas de rester sur un échec. Tirant la leçon de ce qui est arrivé, il passe en revue, jusqu'à la dernière rondelle, les diverses pièces de la Commando susceptibles de lâcher. Il renforce, affine, soude, ajuste, polit, adapte. Il remplace toutes les parties fragiles par des pièces plus fiables empruntées le cas échéant à d'autres marques.

 

Pourtant, la saison 1971 qui le conduit de nouveau à Montlhéry pour la course des Quatre Heures, à Rouen pour les Six Heures avec son ami Pierre Doncques comme équipier le laisse sur sa faim, malgré des résultats honorables, d'autant plus qu'aux Vingt-Quatre Heures de Spa, il coule une bielle. Il se rend compte alors qu'il est allé au bout du chemin avec la Norton. Il faut tout reprendre à zéro malgré une situation financière plus que précaire.

p 215godierport

Bien sûr, ils se connaissent depuis longtemps mais rien, à première vue, ne les destinait à s'associer. Alain Genoud n'a guère obtenu de résultats jusque-là. Il court avec des motos peu performantes, sans grandes ambitions, pour le plaisir. Le plus souvent, il se rend à moto au départ des courses sans avoir dormi, métier de sommelier oblige. Discret, modeste, toujours égal d'humeur, il n'a rien a priori des qualités qui caractérisent les gagneurs. Par contre, très jeune, il a appris à se débrouiller et il voue une véritable passion à la moto.

Lorsqu'ils décident de s'associer, ils jettent leur dévolu sur un moteur Honda 750 récupéré sur une machine accidentée et un cadre Egli. Georges Godier passe l'hiver à monter de toutes pièces une moto qui aura été pensée jusque dans ses plus petits détails en fonction des exigences de l'endurance, tirant le meilleur parti des expériences faites sur la Norton. Alain se charge de trouver les pièces nécessaires, court les magasins, voire les démolitions. C'est lui aussi qui s'occupe des carénages et des parties en polyester. Il est très sensible à l'esthétique de la moto. Non seulement, celle-ci doit être performante, mais aussi belle.

Au printemps, tout est prêt. Première course à Montlhéry, pour les Dix Heures, course à laquelle Alain ne peut participer, la course étant réservée aux licendiés français. Il est remplacé par Maurice Maingret. Après quatre heures de course, le moteur casse. Georges comprend vite pourquoi: c'est la faute d'un réservoir d'huile non cloisonné; il n'y a donc pas lieu de se décourager.

Lors de la course suivante, aux Mille kilomètres du Mans, épreuve toujours réservée aux pilotes français, nouvel échec en raison d'une chute de Maingret. Cette fois, c'est décidé: si à Barcelone, avec Alain, ils ne se classent pas, ce sera l'abandon définitif et la fin de l'aventure. Or, ils finissent cinquièmes. Cette fois, ils sont sur la bonne voie, d'autant plus que pour la première fois leur performance est soulignée par la presse spécialisée. 

Godier-Genoud vont connaître la gloire quelques semaines plus tard. A la surprise générale, ils remportent les Vingt-Quatre Heures de Spa, puis se classent deuxièmes au Bol d'Or, avant de remporter leur premier titre de Champions d'Europe avec une troisième place au Mille kilomètres de Mettet. Georges a gagné son pari.

Malgré une aide de Honda-France et une moto très rapide, la saison 1973 sera à nouveau décevante; chutes et pannes se succèdent. Aucun résultat satisfaisant ne vient les dédommager de leurs efforts. Une fois de plus, ils sont prêts à abandonner. Ils ont travaillé comme des fous pour presque rien. Ils ne peuvent envisager de continuer, en tant qu'amateurs, à rivaliser avec les usines. Il leur faut des appuis plus solides.

C'est Kawasaki qui va leur fournir une aide financière, deux moteurs et toutes les pièces dont ils pourront avoir besoin. Ils vont enfin pouvoir travailler en professionnels, ne pas être toujours hantés par des préoccupations pécuniaires.

La suite est connue. L'année 1974 est l'année de tous les succès: ils remportent les Vingt-Quatre Heures de Barcelone, terminent deuxièmes aux Vingt-Quatre Heures de Spa, gagnent au Mille kilomètres de Mettet après une lutte superbe avec leurs principaux rivaux Debrock-Chemarin sur leur Honda officielle, avant de s'imposer au Bol d'Or au Mans devant 130 000 spectateurs et... Johnny Hallyday.

En moins de trois ans, ils sont devenus les maîtres incontestés de l'endurance, malgré la concurrence féroce d'usines qui ont investi dix fois plus de moyens financiers pour contester leur suprématie. Les recherches acharnées de Georges pour augmenter les performances de leurs machines n'expliquent pas tout. Ils ont atteint le niveau des meilleurs pilotes, y compris celui des pilotes issus de la vitesse. Ils sont rapides et sûrs, conduisant leurs courses avec une intelligence sans faille. Ils ont compris avant tout le monde que la course ne se gagnait pas seulement sur la piste où il s'agit d'aller vite tout en ménageant la mécanique, mais aussi dans les stands où chaque seconde compte. Tout est fait pour gagner du temps lors des ravitaillements et des changements de pilote. Ils sont les premiers à utiliser les vannes Zénith. Leurs mécaniciens, placés sous les ordres de Serge Rosset, arrivent à changer une roue arrière, à contrôler les niveaux d'huile, remplir le réservoir, le cas échéant changer les plaquettes de freins en des temps records. Ils mettent en place une équipe, dans laquelle oeuvrent entre autres Jean-Claude Suter, Gilbert Michoud. Edith, la femme de Georges, tient le chronomètre pour vérifier, tour après tour, que la cadence est la bonne. Tout est organisé dans les moindres détails. Chacun sait ce qu'il a à faire, avant, pendant et après la course.

1975. Après les Mille kilomètres du Mans où Georges se casse le poignet, ce qui ne l'empêche pas de prendre deux relais et de tourner comme si de rien n'était, ils sont tentés d'arrêter la course. Oui ? Non ? Ils n'ont plus rien à prouver. Cependant, ils se donnent encore une saison. D'autant plus qu'ils ont à leur disposition une moto de conception révolutionnaire qu'ils veulent mettre à l'épreuve. Toute la partie cycle est conçue par l'ami de toujours de Georges, Pierre Doncques et l'équipe de l'Institut Universitaire Technique d'Amiens. Un amortisseur de formule I placé avec un balancier constitue la suspension arrière; Georges est le premier, six ans avant les usines japonaises, à songer à cette solution qui sera largement imitée par la suite. Par diverses autres innovations techniques, il prend à nouveau de l'avance sur tous ses concurrents. Les établissements Godier-Genoud situés dans la région genevoise sont dès lors connus dans toute la France et bien au-delà.

Après Thruxton, Barcelone, une nouvelle victoire au Bol d'Or marque définitivement la consécration de Godier et de Genoud et de leurs motos.

Leur collaboration prend alors une nouvelle forme. Kawasaki leur  confie son département courses. Désormais, ils préparent des motos qui seront confiées à des pilotes comme Christian Sarron, Jacques Luc, Alain Vial, Yvon Duhamel, Michel Frütschi. Ils continuent donc, par pilotes interposés, à jouer un rôle déterminant dans les années qui suivent. Parallèlement, ils créent une entreprise qui permet à de nombreux clients de personnaliser leur moto et de conduire, non plus une Kawasaki, mais une Godier-Genoud.

Mars 1993. Consternation dans le monde de la moto. Georges Godier se tue sur la route en essayant la moto d'un client. L'accident reste inexpliqué. Lors de son enterrement, dans le petit cimetière de Thairy, près de St-Julien, une foule immense, muette d'émotion, suit son cercueil.

Alain poursuit seul sur la voie qu'ensemble ils avaient tracée. En 1998, avec l'une des motos construites il y a plus de vingt ans, il réalisera un temps canon à Verbois, 51"17, un temps qui au moment de la construction de la machine lui aurait permis de battre le record de la piste de plus de quatre secondes.