L'élégance sur deux roues
Serge David
Depuis plusieurs années, Serge commente certains Grands-Prix aux côtés de Bernard Jonzier sur la TSR. Ses remarques, ses analyses montrent qu'il n'a rien perdu de ses pouvoirs d'observation. En matière de moto, il sait vraiment de quoi il parle. Il est une des rares à avoir participé à des manches du Championnat du Monde aussi bien comme crossman que comme pilote de vitesse.
Essayez d'imaginer ! Pour la première fois, rêveur éveillé, vous êtes, visière abaissée, moteur rugissant, sur une grille de départ, au milieu de tous les meilleurs pilotes du moment et, de plus, dans la catégorie reine, la catégorie Grands-Prix. Rien à voir avec les courses auxquelles vous avez déjà participé. Cette fois, vous faites partie de l'élite mondiale et même si vous n'avez aucune chance de vous mêler à la lutte pour la victoire, ça fait drôle, non ?
C'est pourtant le rêve qu'a réalisé Serge David, un rêve qui durant deux ans l'a conduit sur tous les circuits du Monde, côtoyant les plus grands, les Wayne Rainey, Kewin Schwantz. Michael Doohan, Eddy Lawson, John Kocinski, Randy Mamola ou encore Douglas Chandler. C'était dans les années 90 et c'était encore la catégorie 500.
Carrière incroyable que celle de Serge. Il est sans doute l'un des rares à avoir marqué des points dans deux championnats mondiaux aussi exigeants et aussi disputés que le motocross et la vitesse.
Tout en effet a commencé par le motocross et peut-être même avant, lorsque, gamin encore, il s'amusait avec son vélo ou son vélomoteur, tout seul à tourner inlassablement dans la cour de la ferme natale ou sur un terrain bosselé, sans savoir qu'il jetait les bases de sa technique de pilotage. Son apprentissage de maçon lui permet d'acquérir sa première moto. Il rêve évidemment de compétition mais il lui faut attendre, piaffant d'impatience, ses dix-huit ans pour obtenir une licence.
C'est dans le cadre des Meyrinos, le club auquel il restera fidèle et dont plus tard il assumera même la présidence, qu'il participe à sa première course. Première course et première victoire qui révèle son talent qu'il lui faudra consolider. Il a encore beaucoup à apprendre. Il s'entraîne avec assiduité, mais surtout il observe comment les autres, les Ristori, les Bosshard affrontent les obstacles. Il prend exemple eux, essaie encore et encore de piloter aussi bien que ceux qui dominent la discipline et il ne tarde pas à se mêler à l'élite du cross.
Après quelques années sans aide, Serge devient pilote Honda et quatre titres nationaux viendront récompenser son obstination, un en 250 et trois en 500. En même temps, parce que cela ne lui suffit pas. Il se lance au niveau international et participe aux manches du Championnat mondial. Et là c'est un tout autre niveau ! Et même si, sur un terrain de cross, les performances dépendent davantage des qualités des pilotes que de celles des machines, il faut faire face aux meilleurs teams qui se disputent âprement chacun des points en jeu en vue du titre. Grâce à une bonne préparation aussi bien technique que physique, Serge fait mieux que de la figuration puisque, à plusieurs reprises, il arrive à arracher, au prix de véritables exploits, quelques points aux grands ténors bénéficiant de beaucoup plus de soutiens.
Et puis, à 33 ans, vient la tentation de la vitesse. Le championnat suisse est un mélange de courses de côte et de circuits. Sur le circuit Paul Ricard, lors d'une manche organisée par le Norton, en début de saison, Serge monte sur la deuxième marche du podium. Déjà ! Il impressionne par la maîtrise de sa machine. Au terme du championnat, il est troisième dans la catégorie des Superbikes. Son style de conduite n'a pas échappé à l'attention de Serge Rosset, le patron de Roc Yamaha à Annemasse. Celui-ci l'invite à participer à un test au Castellet en même temps que plusieurs autres pilotes de vitesse. L'essai est concluant et Serge, qui n'a aucune expérience des grands circuits, fera équipe avec notamment Dominique Sarron et Peter Goddard, un Australien plein de talents.
Essayez d'imaginer ! Passer d'un modeste championnat national à un championnat mondial. Cela tient du miracle. Ou plutôt à un concours de circonstances. L'IRTA, qui a pris le contrôle du Championnat du Monde, n'est pas encore très regardante sur la validité des licences et sur le palmarès des pilotes; la caution et l'entregent de Rosset suffisent. Et puis, justement, pour la première fois, Roc Yamaha se lance dans le Continental Circus et il y a des places à prendre dans le team pour des pilotes talentueux. Le tempérament très perfectionniste de Serge, mais aussi ses surprenantes qualités de pilote de vitesse après tant d'années de motocross lui ouvrent les portes du team.
Cependant, l'ex-crossman a encore beaucoup à apprendre. Comme à son habitude, il observe les grands de la catégorie, leur manière de conduire. Il travaille énormément, améliore encore sa condition physique. Il se sent très à l'aise au sein d'un team remarquablement organisé, bien structuré avec des mécaniciens compétents, un staff disponible, bénéficie des conseils de très grands pilotes avec lesquels il développe une durable amitié. Pourtant les débuts sont difficiles. Il ignore évidemment tout du tracé des grands circuits et, bien que le moteur de la Roc Yamaha, une quatre-cyclindres deux temps, soit rapide, la partie cycle ne permet pas de rivaliser avec la vingtaine de machines d'usine. C'est parmi les pilotes privés que Serge doit trouver sa place. Pour marquer des points, il faut, en 1992, se classer parmi les dix premiers. Au Grand Prix d'Angleterre, disputé au mois d'août, il finit onzième et passe de très près de son premier point. C'est dire les progrès réalisés tant au niveau technique qu'à celui du pilotage.
1993. Les règlements ont changé; afin que les privés ne soient pas définitivement découragés, les points se répartissent sur les quinze premiers. Serge bénéficie toujours du soutien du team Roc Yamaha malgré l'arrivée de nouveaux pilotes, des Japonais, des Espagnols, des Français, des Italiens ou des Anglais selon les circuits . La technique a beaucoup évolué et la télémétrie a fait son apparition. Pour la deuxième année, c'est la tournée des quatorze grands-prix. Dès le premier d'entre eux, en Australie, Serge marque son premier point. Il en marquera cinq autres au cours de la saison terminant le Championnat à la 30e place, probablement pas assez pour être vraiment satisfait. La lutte est trop rude et surtout trop coûteuse, malgré les primes et le soutien du team.
On ne participe pas deux ans de suite au World Championship sans y laisser beaucoup de plumes, aussi bien sur le plan financier que sur l'engagement personnel. Il faut bien, à un moment donné, revenir sur terre, ne serait-ce que pour remettre les finances à flot. Finalement, Serge renonce aux grands-prix, sans toutefois avoir épuisé sa passion pour la moto
Peu après avoir quitté le Continental Circus, une nouvelle possibilité s'offre à lui: Honda-Europe lui propose un contrat très intéressant pour défendre ses chances dans le championnat mondial des 600. Le contrat est prêt et il ne manque plus que la signature de Serge qui se trouve devant un affreux dilemme: il vient de se voir confier la responsabilité d'un magasin de motos à Genève; impossible de concilier les deux voies qui s'ouvrent à lui. Après plusieurs nuits d'insomnie, la raison l'emporte, un choix qui restera longtemps sous forme de regret dans son esprit.
Par contre, la gestion du magasin laisse la porte ouverte à une participation occasionnelle aux grandes courses d'endurance, le Bol d'Or ou les Vingt-quatre Heures du Mans, notamment. Durant cinq années, Serge a plusieurs opportunités de retrouver un guidon pour affronter les meilleurs pilotes de la spécialité. Ce sont les spectateurs qui envahissent la piste qui le privent d'un podium au Mans alors qu'il peut déjà se prévaloir d'une quatrième place au Bol d'Or.
Serge a toujours autant de plaisir à rouler pour le fun et n'a (presque) rien perdu de ses qualités. Il n'a évidemment plus guère d'ambition sportive, mais retrouve toute sa combativité lorsqu'il se retrouve sur un circuit dans la roue d'un pilote qui semble le défier ou lorsqu'il s'agit de regagner une ou deux places pour son équipe aux 500 Miles de Magny-Cours.
Le parcours sportif de Serge David est exceptionnel. Très rares sont ceux qui ont eu le privilège d'affronter les plus grands pilotes mondiaux dans deux disciplines aussi différentes que le motocross et la vitesse, sans parler de l'endurance. Certes, il y a eu Adrian Bosshard, Jean-Michel Bayle, d'autres peut-être... Réservé, Serge ne tire aucune gloire des exploits qu'on lui reconnaît, conscient qu'il a eu la chance de vivre son aventure sportive à une époque définitivement révolue, tant la dépendance à l'égard de l'évolution technique est devenue prépondérante. Modeste, trop modeste sans doute, il n'évoque ses propres qualités qu'avec beaucoup de modestie, préférant parler des soutiens qui lui ont été accordés, de ceux qui lui ont fait confiance, des champions qu'il a pu côtoyer et qui lui ont servi de modèles, voire des opportunités chanceuses qui se sont présentées.
Il reste que dans l'histoire de la moto à Genève ou en Suisse, Serge David a écrit une page mémorable que l'on ne doit pas oublier.
Roudy Grob
Paru dans la Bulletin du Norton Sport Club No 2 / 2005