Norton Sport-Club Genève

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Construire à en mourir

Hermann Schmid

Peut-être n'a-t-il pas encore terminé son apprentissage de mécanicien sur cycles et vélomoteurs, lorsque, curieux, après avoir vu piloter Camathias, il se penche sur le side qu'on vient de ramener au parc. Longtemps, il tourne autour de la BMW du champion, observant tous les détails de sa construction, se posant mille questions. Et ça gamberge dans sa tête; c'est sûr, on pourrait faire tout autrement et on pourrait certainement encore aller plus vite. De retour, chez lui, il passe la nuit à esquisser des châssis différents. Pendant plusieurs semaines, il dessine, dessine, gagné par l'obsession de construire son propre side-car.L'aventure pend corps dans un box mal équipé, mal éclairé. Il a décidé de partir à zéro. Du reste, il n'aurait pas les moyens de s'acheter un side. Ce qui l'intéresse au premier chef n'est pas de s'engager dans les courses comme conducteur mais bien de construire de toutes pièces son propre engin. Un poste à soudure, des tubes, il se met au travail alors qu'il n'a encore jamais conduit un trois roues. Un copain, André Mayenzet, lui donne un coup de main. Ils sont comme deux gamins passionnés par leur projet. Dans le châssis qui est maintenant achevé, ils montent un moteur BMW acheté d'occasion, bien sûr.

 

Le circuit de Monthoux leur tient lieu de banc d'essais mais aussi d'école de pilotage. Ca marche et plutôt bien. Ca vaut la peine de continuer et d'essayer quelques courses de côte. Première course à Oulens. Il fallait s'y attendre: une vitesse ratée et c'est le tout-droit, le cadre un peu voilé, la fourche tordue. Hermann, tant bien que mal, surtout à coups de marteau, répare les dégâts mais le plus difficile est de convaincre André de remonter dans le panier. Heureusement, une deuxième place au circuit de Monthoux relance leur enthousiasme.

Malgré un moteur encore peu performant, les résultats ne tardent pas tomber. A ce moment, aucun des deux n'envisage encore une véritable carrière. Les courses sont pour eux, une manière de bien s'amuser et pour Hermann, un stimulant dans sa recherche constante du mieux en matière technique.

schmid.bmwEt puis, progressivement, ils y prennent goût à cette lutte contre le temps. Ils affectionnent tout particulièrement les courses de côte alors nombreuses en Suisse. Le side, perché sur le toit de leur vétuste DKW, ils parcourent la Suisse et s'étonnent presque de ne pas trouver d'adversaires à leur mesure. En 1970, sans même l'avoir vraiment voulu, ils sont champions suisses.

Ce titre, leur ouvre de nouveaux horizons surtout du côté des circuits. Toutefois, à ce moment-là, ils n'envisagent toujours pas une carrière sportive sérieuse. Ils ne sont toujours pas convaincus de leur talent malgré quelques exploits remarqués à Bourg-en-Bresse, au Mont Ventoux, au Nürburgring. Pour Hermann, la passion de construire domine. Chaque année, avant même la dernière course de la saison, il vend son attelage. Il en a tiré le meilleur parti et il sait déjà comment construire le suivant. Tous les hivers, il repart à neuf, avec une nouvelle conception et de nouvelles idées. Par ailleurs, ses châssis ont acquis une réputation de fiabilité enviée. Ils sont désormais très demandés et Hermann passe beaucoup de temps à en construire à la demande. Certaines années, c'est plus d'une douzaine de châssis qui sortent de son atelier à destination des meilleurs pilotes.

schmid bourgCependant Hermann, malgré une malchance persistante, n'a pas renoncé tant s'en faut à piloter lui-même. Il est maintenant associé à Jean-Pierre Matile. Pour rivaliser avec les meilleurs, il lui manque un moteur vraiment rapide. Il n'a évidemment le soutien d'aucune usine et les moteurs BMW RS performants sont réservés aux pilotes allemands qui par ailleurs dominent les grands prix.

En choisissant de monter un moteur Konig, Hermann décide de franchir le pas: cette fois, il entend mettre en question la suprématie allemande. Le moteur se révèle terriblement capricieux. Sa puissance est impressionnante mais il  ne tient pas la distance et pour Hermann les abandons se succèdent.

Le choix du moteur Yamaha sera le bon. Au Grand-Prix de France au Castellet, en 1976, Hermann et Jean-Pierre tiennent le bon bout. Avec un side qui vient d'être achevé, ils remportent leur première grande victoire devant les Allemands médusés. Le protêt que ceux-ci déposent n'aboutit pas.

 

schmid yamahaUne deuxième victoire à Brno prouve que cette fois, Hermann et Jean-Pierre disposent de la machine la plus rapide et que le règne des pilotes germaniques touche à sa fin même si tout n'est pas encore au point avec le moteur Yamaha.

A Assen, Hermann et Jean-Pierre ont dû bricoler toute la nuit. C'est bien fatigués qu'ils se présentent sur la ligne de départ. D'emblée, ils prennent la tête et mènent la course de bout en bout, mais épuisés, ils sortent de la piste au dernier tour. Poussant avec l'énergie du désespoir, ils peuvent repartir juste devant leurs adversaires et remportent une troisième victoire. Complètement déshydraté, Hermann, à peine la moto arrêtée, s'écroule évanoui. Conduit à l'hôpital, il ne connaît pas une nouvelle fois les joies du podium.

Cette année-là, Hermann est champion suisse pour la deuxième fois et troisième au Championnat du Monde. Ce sera sa meilleure année. Il sera encore l'année suivante champion du Monde des constructeurs grâce à l'attelage fourni à Biland.

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Désormais, on se dispute les châssis qu'il construit. Il n'arrive que très difficilement à répondre à la demande. De surcroît, en tant que pilote, il est à nouveau poursuivi par la malchance d'autant qu'il n'a plus assez de temps pour préparer sa propre machine.Enfin, c'est un véritable coup de poignard qu'on lui porte dans le dos; lui qui depuis longtemps a souhaité construire des châssis avec des roues plus petites et plus larges et qui s'est à maintes reprises heurté à l'incompréhension officielle des fédérations motocyclistes, voit soudain le règlement changer alors qu'on lui a assuré  que rien ne serait modifié dans un avenir prévisible. Toutes les machines qu'il a en chantier sont désormais caduques et le matériel qu'il a en stock dépassé.

Au printemps 1979, le monde de la moto est plongé dans la consternation. Hermann a choisi de disparaître. On retrouve sa voiture abandonnée au bord du Rhône. Son corps sera repêché près de deux mois après, le jour du Grand Prix suisse disputé sur le circuit du Castellet.

Grâce à son génie de la construction, il aura révolutionné le monde des sides et ouvert la voie des triomphes de Rolf Biland.